14 mars 2008
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Quoi de mieux à choisir pour la participation d’un aspirant Rock – critic au crossover 2008 que le livre d’un … Rock Critic ?
Quoi de mieux pour finir cette série de mes réflexions sur la Mort et le Rock que ce livre au titre traduit en français de "Je, la Mort et le Rock n' Roll?"
Quoi de mieux pour finir cette série de mes réflexions sur la Mort et le Rock que ce livre au titre traduit en français de "Je, la Mort et le Rock n' Roll?"
Chuck Klosterman est journaliste à Spin, le journal américain. Entre autres. Il bosse aussi pour ESPN, Esquire, The Washington Post, plein de journaux. Et il s’agit ici de son troisième roman : « Killing Yourself to live ».
Son premier, « Fargo Rock city », narre sa découverte du Heavy metal au fin fond d’un petit village des States… Une sorte de Guéret américain, ou de Privas de Cow-boy. Le second, « Sex, drugs and cocoa puffs » narre une nuit de déambulations MTViennes et les réflexions qu’elle peut inspirer.
Voilà pour la présentation générale de l’auteur, faisons court.
Pour celui-ci, Chuck se base sur une vraie mésaventure. « Killing yourself to live » (en V.F. « Je, la Mort et le Rock n’ Roll ») présente Chuck à la rédaction de SPIN, envoyé dans un Road trip morbide pour les besoins d’un article. Un article sur les morts de Rock star. Du Chelsea Hotel (ou Nancy Spungen, la promise de Sid Vicious a été poignardée) jusqu’à Seattle (je vous ferais pas l’affront…) en passant par le crash d’avion de Lynyrd Skynyrd ou « The Day where Music Died », Chuck nous relate ses émotions, réflexions à la vue de ces différents lieux majeurs mais glauques mais rock.
Mais notre héros – enquêteur – narrateur n’est pas n’importe qui. Si Rob, de High Fidelity était un monomaniaque de musique totalement snob et qui a fait de sa passion son travail, Chuck c’est la même chose mais en nettement plus tordu et pervers. Déjà, c’est un fan monomaniaque de Kiss au point de passer 3 pages à décrire la qualité des albums solo de chacun de ses membres. D’autre part, la scène ou il décrit les disques qu’il considère comme indispensable d’avoir avec lui lors de son trajet (2 semaines, il emporte 300 CD, mais à le mérite de prendre un album des Pumpkins) est flippante pour le commun des mortels mais fait rêver le blogueur musical que je suis.
Dans HF, la musique était présente en fond, comme une B.O. des déambulations de Rob. Ici, on atteint le niveau supérieur, et LA question de Rob prend deux fois plus de sens : « Did I listen to pop music because I was miserable ? Or did I become miserable because I listened to pop music? ». La musique devient à la fois cause et conséquence de la vie de Chuck. Il arrive qu’on écoute un morceau parce que les conditions s’y prêtent. Mais on oublie trop souvent ces cas ou la musique conditionne la situation. Il est plus facile de séduire sur « Let’s Get it on » que sur « La bonne du Curé ». Mais là je m’égare, quand même…
Le principe, au final, de ce roman est simple. Chuck est un journaliste envoyé en pèlerinage morbide pour 2 semaines. Il en reviendra avec l’article qu’on lui aura demandé, et beaucoup (trop) de réflexions métaphysiques. Dont il fera au final un roman. A partir de là, difficile de différencier le vrai du faux. D’ailleurs le sous – titre du roman nous le dit : 85 % of a true story. Ce qui rend le roman d’autant plus passionnant.
De plus, d’un strict point de vue structure (je parle pas de style, du tout), c’est comme si on suivait un des psychopathes ordinaires de Palahniuk, ou un sociopathe classique chez Nick Hornby *, le tout entrecoupé de chroniques à la Bangs, le disque, la musique étant tout à la fois le prétexte, la cause et aussi la plus réussie des caractérisations du trouble d’ado attardé qui habite l’auteur. Cette phrase est tellement tordue que je trouve qu’elle me parle particulièrement bien aujourd’hui.
Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce livre n’est pas illisible. Même pour un non rockeur. Le seul truc c’est que l’auteur est définitivement un rockeur, comprenez : un ado attardé un peu monomaniaque, qui, de la même manière qu’il ne vivra jamais vraiment bien le fait d’être né trop tard pour voir Hendrix en concert, vit dans son propre passé et ressasse ses aventures sentimentales passées, tout en essayent d’oublier tout ça à grands coups de Vodka orange et de Gardénal. Franchement, comment voulez vous que moi, j’ai pas eu de la sympathie à m’égard de ce mec ?! Non ?
Mais Klosterman est doué pour parler de musique. Assez doué pour que ça parle à tous. (Assez doué pour qu’on réussisse à lire 3 pages de délire total où il raconte que Kid A de Radiohead constitue plus ou moins la B.O. de rêve du 11 Septembre, et qu’on se dise… C’est vrai que ça colle.) A chaque lieu de décès, il nous rappelle rapidement de ce qu’il s’agit, de qui il s’agit, et nous fait part de quelques unes de ses opinions à ce sujet. J’ai en tête en particulier les pages sur Jeff Buckley ou Kurt Cobain, ou il décide de remettre les pendules à l’heure sur quelques idées reçues, et nous rappeler par la même que d’un point de vue strictement artistique, la mort reste la meilleure des stratégies musicommerciales, qu’on s’appelle Dalida, Jeff Buckley ou Gregory Lemarchal. Et il faut du talent pour écrire un roman sur la Mort, tout en restant joyeux (Pratchett, ça compte pas, il a réussi à rendre la Mort fun.), en étant cynique mais pas au point d’être désagréable, jamais larmoyant… juste émouvant et doué.
Et un des derniers aspects que je vais évoquer, même s’il est primordial dans le roman : les femmes. Chuck est bloqué entre une relation qui semble suivie mais ne le satisfait pas complètement, et une série de « one night stand » avec la femme parfaite (enfin selon lui), sans compter qu’il va falloir qu’il retombe sur son amour de jeunesse, à l’époque ou c’était bien et pas prise de tête… Et franchement, des fois, la musique n’a pas la réponse à tout. La Mort non plus du reste.
Tout ça pour qu’au final Klosterman ait révolutionné le tryptique. Sex, Drugs and Rock n’ Roll c’est bon pour les stars. Pour le fan, ce sera Love, Drugs, Death and Rock n’ Roll qui mèneront sa vie.
Les réflexions que mène Klosterman sont souvent superficielles en première approche, mais relèvent de dilemmes beaucoup plus profonds. Ce roman ne pourrait être qu’un énième roman sur la mort et l’amour, auquel on a décidé de rajouter un petit plus via le Rock n’ Roll. Or justement, cela va beaucoup plus loin que ça. Il est la preuve formelle que le Rock n’ Roll est la dernière chose qui réussit à rattacher notre époque à la grande épopée du Romantisme XIX ème siècle. Ce n’est pas un hasard si l’on découvre en général simultanément les Doors, Placebo ou Pete Doherty en même temps que Baudelaire, Rimbaud ou Lamartine…
Et plus l’on traverse le livre, plus ces réflexions se font fortes jusqu’à atteindre un parallèle marquant, si logique qu’il en est gênant… La Mort d’un artiste et une rupture ont bien plus en commun que ce que l’on voudrait bien croire.
Quand quelque chose disparaît, on n’en retient que les côtés positifs. C’est la nature humaine. Quand Ringo Starr nous quittera, on se souviendra de lui comme le batteur (peut être même certains le qualifieront de génial) des Beatles. Pas comme le Beatles qui, durant sa carrière solo n’a pas réussi à sortir un seul album qui mériterait qu’on s’y arrête. Et là, c’est pareil, le temps passant, on finit par ne se souvenir que des bons côtés de ses histoires passées. Jusqu’à, parfois, les regretter, comme on voudrait que Hendrix ne soit jamais mort, restant bêtement persuadés qu’il aurait continué à être une bête de scène… Alors qu’il y a des chances que beaucoup l’ait renié dès les années 80 et que tous se moquent aujourd’hui du « papi du Rock » qui peut desormais jouer « Purple Haze » à la main ET avec les dents, pour le plus grand bonheur de son prothesiste dentaire. Réflechissez un peu, les plus grands admirateurs de la décadence et de la provocation du Summer of Love sont les premiers à dire qu’il serait peut être temps que les Stones raccrochent pour ménager ce pauvre Keith.
Eh oui, finalement, ceux qui sont morts jeunes auront réussi une carrière sans faux pas : on ne leur en aura pas laissé le temps. De même les histoires qui se seront achevées à la première dispute sont celles dont on ne gardera que des bons souvenirs, non ?
Mais les Romantiques, comme les Rockeurs, doivent bien devenir adultes un jour ou l’autre non ? Sans pour autant oublier que deux qualités font que les choses peuvent être précieuses : qu’elles soient rares… ou éphémères.
Et choisir le rare plutôt que poursuivre l’éphémère, c’est peut être ça être adulte. Et c’est autrement moins cliché que « Carpe Diem »
Résumé à l’attention de ceux qui ont décroché quand je suis parti en délire tout seul : Croisement des mésaventures sentimentales d’un personnage de Nick Hornby, des errements d’un paumé jet set à la BEE, d’un sociopathe cherchant sa place à la Palahniuk, sous l’ombre d’un Lester Bangs omniprésent… Chuck Klosterman nous offre une vision décalée, drôle, émouvante… Rock n’ Roll des déambulations d’un paumé, d’un ado de 25/ 30 ans, qui passionne sans qu’on ait vraiment envie de lui ressembler, qui fait rire sans jamais être drôle, qui fait réfléchir sans jamais être sérieux. Bref un mec normal.
Un mec normal qu’on suit dans ses déambulations. Dans un road trip qui, en lui faisait traverser les Etats – Unis, le fera grandir. J’ai presque envie de sortir le terme roman initiatique. Un Siddhârta Rock n’ Roll. Qui a un grand mérite. Un livre qui parle de femmes et de Mort et dont la morale n’est pas un banal « Carpe Diem », formule tellement employée qu’elle en a perdu tout son sens, ne peut pas être foncièrement mauvais. Il peut même être bon… ce qui est le cas de celui – ci.
NOTA : En fait, j’ai fait cette critique, mais pour être honnête, je dirais que ce livre est typiquement un livre « fait pour moi ». Les non connaisseurs de Rock pourraient s’y ennuyer ferme sur les passages musicaux, les trop connaisseurs aussi, n’y apprenant rien et pouvant être en désaccord total avec les opinions exprimées. Mais bon. Un roman qui s’achève par une table des matières des artistes, chansons, albums évoqués plus tôt ne pouvait mieux convenir au cadre de ce crossover, non ?
* Oui, soyons clair, le monomaniaque de musique rock n’est pas l’exemple type du personnage qui réussira sans problème son insertion sociale. Surtoutquand sa passion confine à l’addiction.