Chers Win et Régine,
J'espère que vous vous portez bien depuis la dernière fois qu'on s'est vus, ce qui remonte quand même à trois ans de là. Mais si, putain, le petit endimanché, au second rang, derrière le gros italien qui squattai les barrières, c'était moi. Je sais que ça fait longtemps que j'ai pas donné de nouvelles, mais d'un autre côté, jusqu'à l'arrivée de votre dernière production, vous en avez pas donné des masses non plus. Enfin bref, toutes mes excuses.
Si je suis si cordial et poli au début de cette lettre, autant vous le dire, c'est parce que je crois que je vais pas pouvoir le rester très longtemps.
En effet, j'ai bien écouté votre "The Suburbs", et… dites-moi… C'est quand même un peu à chier, non? Qu'est-ce qui vous a pris, dites-moi? J'ai passé l'intégralité de l'album à attendre que ça démarre! Je me suis fait avoir quand au bout de 7 minutes de musique, Win a annoncé "Now I'm ready to start" – pour se recalmer aussitôt… Je me suis fait avoir quand le riff de "Month of May" est venu rappeler à mon bon souvenir un "Laika" qui parait si loin maintenant… Entre temps j'ai cru que l'arrivée de Régine au chant (super tardive, quand même, faut attendre la plage 5) vienne sauver le truc… mais non… Rhaaaa.
Mais qu'est-ce qu'il t'arrive, Win? Tu nous fais une crise de conscience et tu as peur de perdre ta voix si jamais tu pousses un peu haut, ou fort? Tout au long de l'album, ta vois est à l'image de tes potes violonistes (c'est évident sur "Modern Man"): ça monte, ça monte, ça monte, et au moment ou on voudrait que ça explose, d'un coup, tu te calmes!!
Il vous arrive quoi? Il est où le joyeux bordel qui a fait qu'on vous aimait les mecs (et les filles)? La folie, l'emphase, le jeu avec les limites du pompiérisme, tout ça c'est où? "Rococo" (ce titre….) y arriverait presque, vu ta façon de lancer un dernier "Rococo" avant l'irruption des violons, l'espace d'un instant, on croit qu'on est dans le bon… Mais bon, d'un autre côté, c'est une telle scie ce morceau qu'après l'avoir écouté j'en suis presque à vouloir entendre "It's a small small world" pour pouvoir me sortir ce refrain affligeant de la tête)
(Là vous voyez pourquoi j'étais super courtois au début.)
En fait, disons qu'au moment ou vous réussissez à nous rappeler votre grandeur passée, c'est surtout en sortant des morceaux rappelant ceux qu'on aimait pas sur Neon Bible. (Empty Room, c'est "Antichrist Television Blues", mais chanté par Régine, même nous on s'en rend compte, nous prenez pas pour des cons.)
Neon Bible… Neon Bible qu'à l'écoute de cette dernière production on a envie d'accuser de tous les maux. Je me rappelle qu'à sa sortie, tout le monde s'accordait à le trouver meilleur que Funeral (sauf moi et quelques autres – c'est pas par snobisme que je dis ça: je rappellerai juste qu'il m'a fallu vous voir jouer les morceaux de Neon Bible sur scène – donc en version "gros bordel" pour que je les apprécie vraiment), sous des prétextes fallacieux genre "ils se sont enfin calmés, maîtrisent mieux leur truc, ils se font enfin lyriques et c'est plus le gros marasme de Funeral", et tout le monde s'en réjouissait et vous en félicitait.
Pendant ce temps là, les fans de Funeral ne pouvaient pas nier l'évidence, oui, l'album était très bon, mais continuaient de penser par-devers eux que le petit nouveau paraissait finalement vachement plus mort que le précédent (ironie suprème.)
La question reste posée: pourquoi c'est ceux-là que vous avez écoutés? Pourquoi écouter les Rock-critics? A quoi ça sert que je vous rappelle régulièrement que ce sont des cons?
La question jumelle étant évidement: qu'attendait-on de ce "The Suburbs"? Les fans en attendaient certainement une fusion des deux précédents: la maîtrise mélodique de Neon Bible au service de l'explosion de joie et de vie que constituait au final Funeral.
Les Rockcritics… eux, évidement, ils n'en attendaient foutrement rien. Depuis Mars 2007 (date à laquelle est sorti Neon Bible), et une fois leur critique publiée et le concert passé, ils ont du réécouter l'album 3 fois, et encore, la dernière c'est juste qu'ils se sont gourés, ils voulaient sortir le dernier animal collective et puis quelqu'un les a interpellés, ils ont pris le disque d'à côté, voilà, ils se sont dit que c'était bizarre, ça ressemble pas trop à Animal Collective (ben oui, il y a une mélodie), qu'est-ce que… rha mais j'suis con!, Ah ouais, Arcade Fire, il était sympa cet album tu t'en souviens, allez, passe moi le bon disque, on va pas se le réécouter quand même. Bon, évidement, ils considèrent "The Suburbs" comme un des albums les plus attendus de l'année, mais ne nous voilons pas la face, c'est juste parce que le nouveau Radiohead est attendu pour Janvier 2011.
Et donc, ce "The Suburbs"? Eh bien, c'est un album de pop carré aux entournures, jamais désagréable, mais jamais surprenant. (En un sens, l'opposé parfait de celui dont je parlais dans l'article précédent). Je n'ai rien contre les petits albums de pop carrée et sympa, la preuve j'ai été voir Nada Surf en concert y a deux jours. Mais d'Arcade Fire, j'attendais un peu plus que du carré, et, surtout, ce qui me gène le plus: désincarné. A aucun moment la voix ne m'a vraiment embarqué, à aucun moment je n'ai retrouvé cette emphase qui me faisait frissonner sur le précédent, les quelques moments voulus de bravoure m'ont laissé de marbre (la fin de "Suburban War" par exemple, réussie, mais tellement prévisible que, ben en fait elle est ratée*…)
Vraiment, j'attendais plus de vous, oui, d'Arcade Fire, le groupe qui a forcé les Rock-Critics à ressortir le terme "Organique" de leurs tiroirs à clichés en 2005, j'attendais plus qu'un bon album de pop. J'attendais tout sauf l'album de la maturité, car c'était pour moi un groupe qui ne devait surtout pas mûrir… sous peine de pourrir.
The Suburbs? Banlieue dortoir, oui.
J'envisage même de passer cet album à ma très chère sœur. Ma sœur, sa collection d'albums de U2, sa sonnerie de portable Coldplay, sa tendance à apprécier les groupes avec laquelle je l'ai tannée pendant 5 ans (soit le temps des deux premiers albums) une fois que je les ai reniés (soit à partir du quatrième): Placebo, Muse, la liste est longue.
Je parie que "The Suburbs" lui plairait.
J'évoque Placebo, Muse, Coldplay, ce n'est pas anodin. Si je vous écris cette lettre, c'est surtout par égoïsme. Dans 3 ans, quand sortira votre quatrième album, que vous remplirez Bercy dans un concert sponsorisé par Virgin Radio, et que la majorité des gens que je connais chanteront vos louanges alors que je vous renierais définitivement, je veux avoir une trace écrite à leur montrer, pour leur prouver que non, ce n'est pas par snobisme que je vous ai renié une fois que vous avez commencé à vendre des disques par palettes. Non, c'est vraiment par goût, par amour contrarié pour votre musique que je me verrais obligé de prendre un chemin autre que le vôtre.
Malgré cela, c'est avec plaisir que je vous verrais sur scène à la fin du mois. Enfin j'espère. Prouvez-moi que j'ai tort, faites mentir le paragraphe précédent, embarquez moi avec vous, histoire que je ne passe pas une heure à espérer entendre enfin résonner la batterie de l'intro de "Rebellion (Lies)". Faites-moi mentir, je ne demande que ça.
Allez, je vous embrasse fort tous deux (surtout Régine) et vous dit à bientôt. Passez le Bonjour aux six autres.
Guic'.
* Je ne parle même pas de "Sprawl II (Mountains beyond Mountains)" qui m'a fait croire l'espace d'un instant que j'étais tombé sur un inédit de Rose Laurens.
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