Comme vous vous en doutez sûrement, quand je ne suis pas en train de remplir ces pages de mes délires, j'ai une vraie vie, disons une vie "civile". Et dans le civil, je bosse aussi. Un boulot classique, dans un bureau, avec des gens en costume – cravate qui boivent des cafés en réunion. Bon, en fait je suis dans un "opeune spèce", je porte pas la cravate et j'ai très peu de réunions, mais bon, question café je me rattrape.
Le fait étant que je ne suis pas la personne la plus Rock n' Roll du monde, je réussis presque à me fondre dans la masse. Pourtant, ma condition de Rock-Critic a eu l'occasion de fuiter pour de nombreuses raisons:
- je m'enflamme extrêmement vite dès qu'une conversation porte sur la musique
- je me réfugie dès que possible dans le doux confort que m'offrent mes écouteurs et leur délicate musique.
- Je bois mon café dans un mug Rolling Stones.
- Je ne peux m'empêcher de faire une mine renfrognée quand un ou une de mes collègues dit qu'il/elle est allé(e) voir (ou va voir) en concert Coldplay ou Nightwish (pour la quatrième fois)
- La phrase que mes collègues m'ont le plus souvent entendu prononcer (si l'on excepte "Putain!") doit être "faut que je passe chez le disquaire" (et ses variantes).
Reste que, alors que je m'attendais à ce que ma passion revête le côté un peu ridicule de celle du collectionneur d'étiquettes de camembert, j'ai eu l'impression bizarre que pour mes collègues, c'était totalement l'inverse. A leurs yeux, le fait d'avoir une passion (a fortiori une passion pour un truc culturellement acceptable), c'est presque classe, c'est une motivation, une chance. D'autant plus que je réussis miraculeusement à me contrôler et à m'empêcher d'aligner les jugements péremptoires tombant comme des couperets sur les goûts de mes collègues. Mais par contre je multiplie les arguments bidon (me drappant d'une connaissance des choses de l'esthétique que vous savez, vous, lecteurs fidèles, bien lacunaire chez moi). Sauf sur Coldplay, parce que non, là, je peux pas. A quoi bon argumenter face à quelqu'un ayant entendu le nom de Brian Eno pour la première fois en 2008?
Là, vous l'aurez deviné, j'ai une vie profondément schizo: autant ici, je reste dans mon rôle de jeune padawan, avide de savoir et convaincu de rien connaître à rien au milieu de la meute des érudits, autant dans le civil… Et que j'y vais de ma petite phrase assassine, et que je me gargarise à sortir des noms de groupes que personne connaît, et vas-y que je te raconte les concerts de groupes que tu connais pas dans des salles dont tu ignorais l'existence. Bref, dans le civil, je suis un petit con snob et suffisant dès qu'on parle de musique.
Pourtant… pourtant je me retrouve à être considéré comme un gars qui s'y connaît. Si quelqu'un cherche un album un peu rock, il n'hésitera pas à me demander si je l'ai et peux lui passer… Et ce genre de trucs, après des années de "Fous-nous la paix avec ta musique de vieux", c'est véritablement grisant.
Certes, c'est une évolution réjouissante: De "Fous-nous la paix", je trouve d'autres grands barges comme moi sur les blogs, calme mon ton, apprends à parler moins mais mieux, puis, enfin, la respectabilité de ma passion. Foutrement réjouissant. Pendant quelques mois malgré ma distribution de jugements sans appel sur quelques-unes des galettes préférées de mes collègues, je suis resté le gars avec lequel on peut parler musique, parfois apprendre un truc ou un autre… Et Dieu sait que j'ai adoré ça.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et là, comme tout héros victime de son Destin… j'ai fini par me condamner moi-même. Ca doit être ça, l'ironie du sort.
Car voyez-vous, bien que me posant en mec qui s'y connaît, à aucun moment je n'ai caché mon goût malsain pour l'écoute de certains trucs qu'on qualifierait de honteux: Billy Idol, Mötley Crüe, oui, je cite toujours les mêmes, mais bon, je n'ai pas que des goûts de merde non plus. Bref. La méconnaissance des ces artistes (doublé du fait qu'au fond, tout le monde s'en fout), m'avait préservé de la déchéance.
Et puis un jour, comme ça, on discutait, tranquillement. Je ne me rappelle plus du contexte précis, mais on devait parler de musique, à tous les coups, d'albums à passer ou que sais-je… reste qu'à un moment, j'ai laissé échapper la phrase qui scellera mon Destin (scélérat, mon destin!):
"Si tu veux, je peux te passer aussi l'album des BB Brunes, le nouveau."
Réponse (prévisible): "Non, mais tu plaisantes, t'as quand même pas ça?!"
"Ben si…. Attends…"
Alors que je gratte ces mots, je réalise qu'à cet instant là, en fait, il y a une issue de secours (métaphorique) au dessus de laquelle clignote en lettres de néon rouge géantes "Mais non, rhôoo j'déconne!". Sauf que dans l'instant, j'ai fait tout autre chose. J'ai sorti mon iPod, l'ai allumé et ai tendu vers mes collègues effarés l'écran, affichant la pochette noir et blanche et rose de Nico Teen Love.
Silence dans la salle puis éclats de rires moqueurs.
Sans même m'en rendre compte, je viens de perdre d'un coup toute crédibilité, tout droit à la critique (même de Coldplay), toute la respectabilité de mon bon goût, tous mes acquis ces derniers mois.
Et donc, depuis une semaine, mon tout nouvel album chouchou est devenu le running gag. On se moque, de mes goûts, à moi! Moi dont le bon goût était resté indiscuté pendant de longs mois, moi le conseiller en chef, moi le… spécialiste, l'érudit, rhaa putain, merde.
Pourtant, je vous le dis ici (je suis plus à une moquerie près), je l'aime vraiment bien, ce Nico Teen Love. Certes, c'est pas non plus le chef d'œuvre absolu, et, fatalement, les trucs de rock chantés en français étant généralement si indigents (à part Eiffel, bien sur) je partais forcément avec un a priori positif, moi qui avait déjà trouvé le premier album pas si mal (son gros problème était de commencer très bien et d'être un peu plus en roue libre sur la fin: on aurait cru un EP avec du remplissage pour tenir le LP)
Et là, je n'ai pas été peu surpris d'entendre un album qui s'affine au fil des écoutes, agréable, presque poétique par moment (Britty Boy), un peu plus pop et abouti que le précédent.
Oh bien sur, les textes restent très "jeunes": On nique et on picole dans tous les sens. Sauf que pas seulement, et le tout est au service d'une sorte d'imagerie romantique glauque voire même parfois un peu morbide (Peut-être pas cette fois) qui me plait automatiquement… Ne vous fiez pas à l'allure enjouée de la musique. La gentille comptine peut dissimuler une histoire pas si joyeuse (Gare au Loup).
Oh, certes, certains trucs sont énervants, entre autres une voix qui à certains moments rappelle… Jean – Louis Aubert, voire Raphaël, mais ce n'est rien, pour un album qui développe, cette fois ci, vraiment une démarche pop-rock à la française… Oui, il y a de la pose (et ces gamins sont d'extraordinaires têtes à claques), mais ils ne ressentent pas la nécessité de prendre cette pose de rebelles beaux gosses et dangereux mais qu'on présenterait bien à sa mère quand même… Non, là on est en plein dans le lover loser, l'ado romantique torturé dans ce qu'il a de plus cliché… Mais bon, on ne se refait pas, les lovers losers, j'adore.
(De toutes façons, l'adolescence, c'est cliché: c'est l'âge où on croit tous être des marginaux, tous être des incompris avec une démarche trop originale pour être compris… Mais fatalement, comme tout le monde le croit, on est comme tout le monde.)
J'ai bien du mal à le défendre cet album, car je sais que c'est peine perdue. Moi –même j'ai eu beaucoup de mal à assumer qu'il me plaise à ce point. Il a fallu que mon PC me dise que j'ai écouté en moyenne 7 à 10 fois par jour cette dernière semaine, pour que je réussisse à m'avouer que le titre "Cola Maya" m'obsède véritablement, me fascine, et ce pour deux misérables lignes de chant qui me foutent sur le cul à chaque fois ,vers les 2 minutes.
Voilà… Bizarrement je me réjouis (pour la première fois depuis longtemps) d'un engouement adolescent général… Et ce, non pas parce que "c'est mieux que la Star Ac'", mais justement, parce que ces petits gars sont foutus de trousser des petites chansons qui ne payent pas de mine mais sont putain de bien au final. Et pourtant je m'en veux, oui, je sais pertinement que pour être un esthète, je me dois de le mépriser, et ce ne sont pas les arguments contre qui manquent, je sais qu'ici j'ai quand même mille fois plus de chance de prêcher des convertis à la cause adverse qu'autre chose, mais bon… Voilà, moi cet album, il me plaît, je l'aime, il est doux, un peu sombre juste ce qu'il faut, et pourtant, bizarrement, il est quand même frais (Seul ou accompagné est imparable, pour moi), voire ensoleillé, et vous n'imaginez pas à quel point je déplore le fait qu'il soit sorti en ce gris mois de Septembre et non pas en Mars, putain ce que j'aurais aimé passer le printemps à l'écouter en flanant dans les ruelles parisiennes, ou sur les quais ou leurs adeptes se mettent leurs premières cuites en regardant passer les bateaux – mouches.
Mais ne vous en faites pas, je garde mon sens critique: j'ai toujours autant de leur claque le beignet. Voire même plus encore qu'avant.
Alors autant vous dire que mes collègues qui passent leur temps à me rappeler que je suis pas une gamine de 14 ans… ils me font bien marrer.
Chacun son tour. Au votre maintenant.
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