Selon une étude récente, la vie sentimentale de tout adolescent mâle né dans le dernier quart du vingtième siècle serait composée de 40 % de bons moments, 20 % de remords, 20% de regrets, et 20 % d'alcool en volume. (Etude réalisée sur un échantillon de 1 personne)
Quand j'ai choisi, dans le cadre de "Songs of the Beatles", de vous parler de "The Night Before", G.T., organisateur de cette réjouissance, m'a fait remarquer que j'étais l'un des rares à avoir sélectionné une chanson de leur "première période".
Je n'ai pu retenir un sourire en coin.
Car en effet, c'est une chanson de la seconde période des Beatles, pas de la première. Reste que je ne sais pas s'il s'agit là d'un désaccord sur les limites ou sur les périodes. J'explique.
Pour moi, il y a chez les Beatles, 3 (voire 3.5) périodes. La discographie des Beatles, c'est comme la vie faite musique.
D'abord il y a l'enfance. La joie, le sourire, la simplicité, la naïveté. Bien, sur, occasionnellement, quelques gros chagrins, mais rien de bien gravissime. Chez les Beatles, ça va de Love me do à A hard day's night.
Puis l'adolescence, le temps des questionnements comme le veut la formule consacrée, mais surtout le temps des remises en questions: de soi, des autres, de tout ce qui est déjà bien en place, et, bien entendu le temps des expérimentations. Chez les Beatles, cela va de Beatles for Sale (qui s'ouvre sur le fabuleux "I'm a loser") à Revolver.
Enfin, à l'âge adulte (d'ailleurs on voit qu'ils ont fini leur puberté), on sait enfin ce que l'on veut faire, et on le fait, jusqu'à l'épuisement. Chez les Beatles, ça s'ouvre avec Sgt Pepper's (enfin, disons, symboliquement, avec Strawberry fields / Penny Lane), et ça se ferme avec… Disons Abbey Road, la dernière demi-période étant dès lors "Let it be" qu'on peut considérer comme la cotisation des derniers points retraite.
Dans l'enfance Beatlesienne l'amour c'est cool et mignon. A l'adolescence, c'est douloureux. Une fois "adultes", les Fab Four s'autorisent à parler de cul, certes, mais les setiments restent prédominants sur l'ensemble de leur discographie. Parce que les Beatles ne sont pas "juste un autre groupe de Rock".
En effet, s'il y a une chose plus souvent évoquée que les stupéfiants dans le monde du Rock, c'est fatalement le Sex, et parfois, mais seulement parfois, son corollaire qu'est le sentiment amoureux. En effet, dans le fabuleux monde du Rock n' Roll le sexe précède l'amour, c'est bien connu et éprouvé: Elvis pilonnait déjà l'Amérique puritaine à grands coups de bassin avant de réclamer de l'amour tendre, tout comme les Stones faisaient des trucs bizarres avec leurs pouces avant de demander à Angie de rester.
Ca c'est le Rock n' Roll.
Mais les Beatles ne font pas du Rock n' Roll, ils font de la Pop. Les Stones draguent, séduisent, envoûtent, choppent, se tapent des gonzesses, alors que les Beatles tombent bêtement amoureux.
C'est pour ça que, fatalement, ils sont plus à même de plaire à n'importe quel crétin acnéique. (comme celui que j'ai été, évidement, vous croyiez quand même pas que j'allais oublier de ramener ma petite existence dans l'affaire, quand même.)
Ben oui: on rêve d'être Mick Jagger, mais la vie fait qu'on est le plus souvent (toute velléité de génie mise à part) des Mc Cartney, voire, pour les moins chanceux d'entre nous, des Ringo.
Bref.
Qu'en est-il de ce fameux "The Night Before"? Eh bien ce n'est rien d'autre qu'une de ces anecdotes à la con de l'adolescence, ce genre de passage obligé qu'on passera une bonne partie de sa vie à regretter, ce genre de chose idiotes qui font qu'on devient ce qu'on est (ouais, l'adolescence quoi.)
C'est juste un lendemain de soirée. Mais de quelle soirée! Une soirée sympathique, où, au cours d'une fête (boum, party, chouille, le terme dépend de votre âge), une chose en amenant une autre, on s'est retrouvé, à sa grande joie, avec une délicieuse jeune fille dans les bras. Une fille qui nous plaisait déjà avant, mais qu'on avait pas forcément osé aborder auparavant – quoique.
Mais l'atmosphère de la soirée aidant, et peut-être un peu l'alcool aussi, on a réussi à la conquérir, certes un peu piteusement, mais on s'en réjouit. On passe la soirée sans se lâcher, on l'embrasse, on veut profiter de la grisante sensation de ses lèvres sur les siennes, s'en rendre encore plus ivre qu'on ne l'est déjà, on fait, sans s'en rendre vraiment compte (enfin pas intentionnellement disons), le tour de tous ses potes, on discute avec eux, on leur paye un coup à boire, mais avec sa conquête à ses côtés, discrètement mais ostensiblement quand même, oui c'est antinomique et alors, on se sent bien, bizarrement, ce soir là, on se sent différent, passablement joyeux, soudainement confiant en soi, sur de l'avenir, et si certains ne sont pas là pour assister à votre réussite (et s'en réjouir avec vous, parce qu'ils savent, eux, à quel point cette fille vous tient à cœur), eh bien, à la faveur d'un court éloignement de votre toute fraîche moitié, vous vous isolerez pour leur envoyer un message téléphonique – certes à des heures indues, mais votre victoire sur votre propre lose ne peut que réjouir n'importe qui, même au réveil, je sais pas, c'est tellement génial, le monde vous appartient, oui, cette fille, elle est là, là à vos côtés, et ce n'est assurément que le début d'une histoire qui sera couronnée de succès – c'est obligé.
Puis vous la raccompagnez chez elle. Avant de rentrer chez vous, évidement, quelle utilité de vouloir "consommer" cette union maintenant, hors de questions de passer pour un misérable goujat aviné, quelle utilité oui, vu que cette histoire ne peut que durer, et qu'on en aura l'occasion de multiples, d'innombrables fois!
Puis le réveil sonne.
On ne tient pas en place, on ne peut focaliser ses pensées sur autre chose que l'après – midi qui s'annonce, oui, à 16 h 30 précises on doit passer chez elle la saluer, on lui a promis la veille, on va la revoir, et les choses seront enfin différentes, finie la gène, la maladresse, on va pouvoir assumer enfin ses sentiments, certes sans les déclarer clairement, mais on pourra les laisser se manifester, rhaaa… vivement cet après – midi!
Cet après – midi, où, alors que vous rentrez dans son appartement… Elle vous fait la bise.
C'es cette après – midi là, durant cette entrevue précise que "The Night Before" a sa place, et prend tout son sens.
(Les paroles pour ceux qui en ont besoin:
We said our goodbyes, ah, the night before.
Love was in your eyes, ah, the night before.
Now today I find you have changed your mind.
Treat me like you did the night before.
Were you telling lies, ah, the night before?
Was I so unwise, ah, the night before?
When I held you near you were so sincere.
Treat me like you did the night before.
Last night is a night I will remember you by.
When I think of things we did it makes me wanna cry. )
Durant cette après – midi, celle précédent la nuit où vous vous repasserez la soirée de la veille en boucle dans votre cerveau, cherchant à comprendre le pourquoi du comment de ce changement d'avis, de ce soudain rejet, et de vous sentir à nouveau tel un moins que rien. Et d'avoir, en la recroisant plus tard, l'obligation de dissimuler son amour, plage suivante.
Il est là, le génie des Beatles. A partir de leur adolescence discographique, les Beatles n'ont de fait plus écrit de chanson d'amour. Mais un paquet de chansons sur l'amour.
Vous remarquerez que les chansons d'amour, en général, se divisent en deux catégories: "Tu me plais, sors avec moi", et "Tu m'as quitté, ça fait mal". Chez les Beatles, l'amour revêt (pour une fois) de multiples facettes, tout comme la conquête et la rupture. Rupture douloureuse et passive (Yesterday), violente et méchante (Run for your life), ruprure qu'on ne s'avoue pas (For no one) ou non-conquête difficile à vivre (I want you), ou simple déclaration d'amour et ode à la simplicité de cet amour (Something).
Et donc, du retournement d'opinion de lendemain de soirée dans "The Night before", cette chanson qui, l'air de rien, dès ses premières notes, nous propulse au sein de cette surprise-party qui défile, défile, et défile encore derrière nos yeux, et dont on cherche à se souvenir du moindre détail pour mettre des raisons sur ces petites souffrances mesquines.
Les Beatles sont des ados, les Beatles sont l'Ado. Mais surtout des génies, susceptibles de parler à tous, en ne parlant en fait que de détails et de cas particuliers.
Et donc capables, à la faveur d'une chanson vieille de plus de quarante ans, de relater une soirée particulière, perdue au milieu de monceaux de souvenirs brumeux d'un mois de Mars nancéien.
(Par contre, comme les Beatles n'ont pas écrit de chanson s'appelant "Will you please, dear get the fuck out of my heart and memory", je laisserai des punks conclure en beauté, avec la chanson qu'on qualifiera de chanson "du surlendemain.")
La prochaine fois : Les filles, arrêtez de nous saouler avec votre « il m’a pas rappelé », nous on a le « elle répond pas » et c’est pire.
commenter cet article …