En 2005 / 2006, mon magazine de chevet Rock & Folk a fait sa une, pour la première fois, sur un groupe de gamins parisiens nommés les Naast, et ce après nous avoir saoulés comme pas permis pendant des mois avant.
On a appelé ça les « babys rockers ». Et quand l’album est sorti, la réaction majoritaire fut… « Tout ça pour ça ? ». Depuis, le mouvement s’est essoufflé, sans pour autant s’éteindre forcément, mais personne n’a oublié. Moi le premier. C’est entra autres à cause de cela que, depuis maintenant 5 ans, je suis à peu près aussi disposé à dire du bien d’un groupe français jouant au Gibus qu’un militant de Greenpeace ne l’est à parler positivement du nucléaire.
Que voulez vous, on a vécu les Tchernobyls qu’on peut1.
Cela dit. Mon esprit scientifique et mon gout pour l’investigation étant ce qu’ils sont, je m’en suis quand même bouffé pas mal de ces albums de ces groupes : Naast, BB Brunes, Plasticines, Second Sex, Shades… Et, il faut l’avouer, des fois, ce n’était pas forcément dégueu, j’ai eu quelques bonnes surprises au détour d’un album ou d’une chanson. Certains vont dire que j’ai cherché sciemment à me faire du mal, mais vous n’imaginez pas ce que c’est d’être à la fois de mauvaise foi, paranoïaque, et pourvu d’un sens moral. Je me sens obligé de connaitre pour critiquer, de peur que, si j’ai le malheur de pourrir un truc que je ne connais pas vraiment, on me la joue : « Ok, ben dans ce cas, c’est quel morceau que tu aimes le moins ? » et que moi, évidement, comme avant j’ai cherché à faire mon malin, je suis infoutu de sortir ne serait-ce qu’un seul titre, et là, non seul je me sens con mais mon escroquerie est révélée à la face du monde.
D’où cette tendance à appliquer à la lettre le précepte maternel qui veut qu’on goûte avant de dire qu’on n’aime pas.
Cela dit, personne n’est parfait, et malgré tous mes efforts pour tout passer au crible, certains ont réussi à échapper à ma vigilance. Donc j’étais passé à côté du fameux groupe qui me ferait changer d’avis sur la meute quand on m’a parlé des Parisians, à grands renforts de « non mais eux c’est pas pareil, ils chantent en anglais, en plus ils sont plus vieux, franchement c’est juste trop bien genre génial. » Le genre d’argumentation, qui, évidement, est à même de me faire plier direct. Heureusement que je n’aime pas l’idée de laisser le doute s’immiscer : il fallait que je vérifie.
Qu’ils soient plus vieux, je veux bien y croire, mais c’est une grosse galère que de trouver des infos sur ça sur le Net. Qu’ils chantent en anglais, pas de problème, ça s’entend… Sont-ils meilleurs ? La question se pose.
Parce que comme ça, au débotté, j’aurais tendance à dire que oui, ils sont quand même meilleurs que la grande majorité des groupes avec lesquels ils ont partagé la scène du Gibus et le tracklisting des compilations « Paris Calling ». Mais c’est très certainement parce que, à mes yeux, ils ne jouent pas forcément dans la même court – parce qu’ils chantent en anglais, certes, mais pas que : on peut considérer le chant en anglais comme tenant plus du symptôme que de la cause première.
C’est là qu’intervient leur âge. Ils doivent être un peu plus vieux que les autres, parce que leurs influences sont 1. Plus anciennes, 2. Mieux digérées – quoique.
Vous aurez remarqué déjà que je passe presque tout cet article à modérer mes compliments : ce n’est pas que parce que je suis incapable de faire un compliment direct, c’est juste que mon avis est mitigé. L’exemple type : par moment, et c’est super réjouissant, ce groupe sonne comme les Dogs. C’est quand même génial, bordel, qu’un groupe de rock français montre dans un de ses morceaux qu’il a comme inspiration un groupe de rock français qui ne soit pas Noir Désir. Franchement, les Dogs ont commencé il y a 30 ans, tout le monde s’accorde (à quelques pinailleurs près) à dire que c’était un putain de grand groupe, mais pourtant, on a l’impression qu’aucun groupe français en activité ne les a jamais écoutés, coincés qu’ils sont entre des influences directement anglo-saxonnes ou celle de la vague « alterno » 80’s et de ses conséquences. Sauf que là où ça pêche, c’est qu’on a vraiment l’impression d’écouter les Dogs sur ces morceaux, avec un degré de mimétisme à la limite de l’angoissant (« Just like », je l’avais déjà entendue avant, sauf qu’elle s’appelait « M.A.U.R.E.E.N. » si vous voulez – enfin, c’est surtout sur l’intro que c’est flagrant), ce qui laisse un arrière gout pas désagréable, mais un peu trop prononcé.
Le revers positif de la médaille étant que, justement, avec ces résurgences dogsiennes, les Parisians ramènent dans le paysage rock français un truc qui faisait cruellement défaut : une forme de distinction et surtout de romantisme raffiné qui n’était que trop rare depuis quelques temps. Si l’on prend comme exemple les leaders de la vague, les BB Brunes, on réalise que, malgré l’efficacité pop directe de leur morceaux, ils sont, d’un point de vue « sujet », le cul coincé entre deux chaises : d’un côté une niaiserie sans fond, de l’autre une gravellerie trop directe pour être sincère. Pas étonnant, après ça, que leurs meilleurs morceaux soient ceux qui parlent de trainer avec ses potes.
Alors que chez les Parisians, on trouve des mélodies et des textes qui parviennent à évoquer la gente féminine avec tendresse, mais sans être complètement cul-cul. La seconde partie de « Kiss your smile », par exemple, entre à part entière dans le cadre de « ces chansons qui donnent envie de tomber amoureux »
Mais la grande majorité de l’album est empli d’une pop musclée qui n’est pas sans rappeler les morceaux les plus posés des Queens of the Stone Age (sans la force de frappe, malheureusement – Hips n’ Lips, c’est carrément ce genre de morceau), qui reste agréable, malgré une seconde guitare qui prend un malin plaisir à égrainer sans interruption le même riff d’un bout à l’autre du morceau, et généralement vient , bizarrement, plomber l’ambiance d’ensemble du morceau (comprendre par là l’attrister, pas le foutre en l’air – sauf pour moi : au début j’adore le morceau parce qu’il envoie du lourd, puis arrive cette guitare aigrelette, et au bout d’un moment je focalise que sur elle et ça me fout le truc en l’air. Le pire c’est que j’avais jamais vraiment réalisé avant à quel point ce tic de composition me gonfle.) De façon évidente, ce sont les morceaux où ce gimmick est absent qui me plaisent le plus : The Way you got me, Next Round is on me…
En plus, je sais pas, j'ai moins envie de leur coller des tartes qu'aux autres...Mais c'est peut-être parce qu'il y en a un qui ressemble à Dave Grohl - vite fait.
La ballade de rigueur « Difficult Times » ne réclame aucun commentaire.
Le final, « Stop the movement », est presque un cas d’école : j’ai beau ne jamais avoir vu le groupe sur scène, je suis certain que c’est avec ce morceau qu’il conclut son set principal. Effectivement, morceau standard, puis break (accessoirement : break qui n’est ni plus ni moins qu’un bout de celui de Keith Moon dans « Won’t Get fooled again »), puis démarrage en semi-jam heavy hypnotique dont on ne cherchera pas trop loin par qui elle a été inspirée. On entendrait presque les lumières s’éteindre à la fin du morceau, et de toute façon le titre du morceau annonçait la couleur.
Alors au final, oui, cet album rappelle plein de trucs divers, et ne brille pas forcément par son originalité. Mais au final, il ne fait que révéler un paradoxe qu’on se traîne depuis un bout de temps : le rock français actuel étant devenu ultra référencé, on se retrouve presque à se réjouir quand un groupe ne brillant pas par son originalité va pomper dans des références qu’on n’entend pas 600 fois par numéro de Rock & Folk. Au final, reste un album bizarrement rafraîchissant, bien pêchu, très agréable, qu’on ne va pas se passer en boucle une fois cette chronique publiée, certes (ce n’est d’ailleurs le cas que de très peu d’album et de chroniques, soyons sérieux), mais qu’on ressortira avec plaisir de l’étagère pour se le repasser un petit coup à la faveur d’un jour d’été, et qui mériterait donc, par cette caractéristique, de venir se coincer entre le premier Fratellis et le premier Dirty Pretty Things quand on fera une nouvelle sélection pour remplir le lecteur mp3 à la nouvelle saison. Et aussi, suffisamment convaincant pour donner envie de se pencher sur l’EP qu’ils ont sorti il y a 6 mois.
Enfin… Cet album vient de réussir à me faire gratter trois pages, et à me faire retrouver inspiration et motivation perdues ces dernies temps, c’est pour moi une raison suffisante de lui offrir un tour de platine supplémentaire.
(Le choix du morceau s'est juste fait sur "tiens, c'est pas une vidéo captée à l'arrache sur un téléphone en concert", donc c'est vraiment pas le morceau que j'aurais choisi... Si j'avais vraiment eu le choix. Mais j'aime bien le petit côté "je danse le Mia" du clip)
1 A ceci près qu’en fait, les Naast c’est à peu près l’inverse total de Tchernobyl : on en a parlé beaucoup plus que nécessaire et c’était pas vraiment grave.